Qui est bénéficiaire ? Utilisation des données sur la propriété des entreprises pour détecter et prévenir la corruption

Utiliser les données sur la propriété effective pour réduire la corruption

Les premiers registres centraux de la propriété effective n’ont été lancés qu’en 2015. Malgré leur courte histoire, les acteurs, depuis les militants locaux jusqu’aux enquêteurs dans les unités d’information financière, utilisent les données sur la propriété effective pour lutter contre la corruption.

En général, les données sur la propriété effective sont utilisées de trois manières : conduite d’enquêtes sur la corruption ; éclairage des décisions pour réduire les risques de corruption ; et utilisation d’analyses pour fournir des informations utiles sur la lutte contre la corruption. Chacune de ces utilisations est présentée ci-dessous. Dans de nombreux cas, la valeur des données sur la propriété effective dans la lutte contre la corruption provient de son croisement avec d’autres informations. L’innovation dans l’utilisation des données est essentielle pour étendre la portée des efforts qui sont déployés sur tous les fronts en matière de transparence et de redevabilité.

L’accès public aux données contenues dans les registres sur la propriété effective – pour le secteur extractif et l’économie dans son ensemble – maximise le potentiel d’impact de ces données en élargissant l’accès de tous les utilisateurs de données potentiels, depuis les autorités d’enquête et de poursuite étrangères jusqu’aux journalistes. L’accès public augmente les possibilités existantes d’établir des liens entre les informations sur la propriété effective provenant de différentes juridictions et d’autres sources de données pour mener des enquêtes et obtenir des informations utiles.

Mener des enquêtes sur la corruption, en suivant l’argent

Toutes les formes de corruption politique impliquent des abus de pouvoir à des fins personnelles et, en général, une forme de conflit d’intérêts pour les décideurs publics. Les investigations menées par les cellules de renseignement financier, les autorités d’enquête et de poursuite et les journalistes peuvent contribuer à dévoiler de tels conflits. Dans un grand nombre de ces enquêtes, les utilisateurs des données suivent l’argent en surveillant les transactions d’un compte bancaire à l’autre pour établir des liens entre les flux financiers et des personnes physiques, et en testant des approches novatrices axées sur les données dans le cadre de ce travail. [5]

Les informations sur l’identité des propriétaires d’entreprises peuvent éviter aux enquêteurs d’aboutir à une impasse. En 2018, par exemple, le Royaume-Uni a publié une ordonnance pour richesse injustifiée (« unexplained wealth order ») sur la base d’éléments factuels provenant du registre britannique des bénéficiaires effectifs contre une personne politiquement exposée (PPE) originaire d’Azerbaïdjan.

Le registre a montré que l’épouse d’un fonctionnaire azerbaïdjanais – qui avait été incarcéré en 2016 pour le détournement de fonds publics de ce pays riche en ressources pétrolières – avait été la bénéficiaire effective d’une entreprise possédant un club de golf dont l’achat aurait été réalisé avec de l’argent blanchi. [6] En décembre 2020, elle a perdu un recours devant la Cour suprême visant à annuler l’ordonnance de richesse inexpliquée. [7] Des biens d’une valeur de 3,2 millions de livres sterling ont été saisis dans l’attente de l’issue de la procédure de confiscation engagée par la National Crime Agency, l’autorité britannique d’enquête et de poursuite. [8]

Dans de telles affaires, les informations sur la propriété de l’entreprise constituent une composante essentielle pour identifier les liens existants entre différentes personnes physiques et morales. Les données sur la propriété effective sont d’autant plus utiles quand elles sont associées à d’autres informations telles que celles figurant dans les cadastres de biens immobiliers et d’autres registres. Par exemple, l’organisation médiatique indépendante d’enquête sur la corruption Bihus.info a mené une enquête au sujet d’un député ukrainien en combinant les données de registres ukrainiens sur les actifs et les bénéficiaires effectifs pour examiner la source de 1,2 million de hryvnias (environ 42 000 dollars américains) de revenus locatifs annuels que le député avait déclarés. L’organisation a découvert que les revenus déclarés provenaient probablement de produits de la corruption. La haute cour contre la corruption de l’Ukraine a également enquêté dans le cadre de cette affaire ; en 2021, elle a conclu que les revenus avaient été acquis de manière illégale et qu’ils devaient être soumis à une confiscation civile – la première fois que ce mécanisme était utilisé depuis son introduction en 2019 en Ukraine. [9]

Des sondages visant à recueillir les opinions des autorités d’enquête et de poursuite à propos des registres centraux des bénéficiaires effectifs soulignent le temps gagné lors de la conduite d’enquêtes grâce à la possibilité d’accéder efficacement aux informations sur la propriété effective depuis un registre central, plutôt que d’avoir à les demander à chaque entreprise couverte par l’enquête. Aux termes desentretiens menés avec huit autorités d’enquête et de poursuite trois ans après le lancement du registre public sur les bénéficiaires effectifs au Royaume-Uni, toutes les personnes interrogées avaient utilisé ce registre dans le cadre d’enquêtes pénales.

De plus, la majorité des autorités d’enquête et de poursuite ont indiqué que le registre avait eu des incidences positives sur leur travail : « L’introduction du registre […] a permis d’obtenir les informations plus rapidement et plus facilement. Par conséquent, le processus d’identification et de renforcement de la compréhension des personnes physiques qui contrôlent les entités commerciales et les réseaux de sociétés dont elles font partie est devenu plus efficace ». [10]

Les registres publics peuvent également offrir une alternative plus efficace que les procédures longues et coûteuses permettant de partager des informations à l’échelon international – par exemple, dans le cadre de demandes d’entraide judiciaire. [11] Parce que le produit de la corruption est souvent blanchi et investi dans des actifs situés en dehors du pays où la corruption a eu lieu, la coopération internationale et le partage des données sur la propriété effective sont essentiels. Le nouveau registre britannique sur les bénéficiaires effectifs d’entités à l’étranger possédant des biens au Royaume-Uni a par exemple été salué pour son utilité dans la lutte contre la corruption au Nigeria. [12] Quand les registres nationaux fournissent des données structurées et interopérables, il est possible d’associer les données sur la propriété effective directement à d’autres données, telles que des données sur les achats, ou à des données sur la propriété effective provenant d’autres registres pour améliorer la visibilité des structures d’entreprises transnationales. C’est ce que montre le registre d’Open Ownership, le premier registre transnational sur la propriété effective qui regroupe actuellement les données de quatre registres nationaux. [13]

L’utilisation des données sur la propriété effective par le Centre de renseignement financier de la Zambie dans le cadre d’enquêtes sur la corruption [14]

Pays-chef de file dans la région, la Zambie a lancé son registre des bénéficiaires effectifs au sein de l’Agence d’enregistrement des brevets et des entreprises (Patents and Companies Registration Agency – PACRA) en 2019. Depuis, le registre est devenu une source fréquemment consultée par les membres du personnel du Centre de renseignement financier (FIC) de la Zambie. Le FIC identifie les véritables propriétaires des entreprises en suivant l’argent dans le cadre de son processus de conduite d’analyses financières. Dans de nombreux cas, ces analyses diffèrent des informations divulguées au registre. Par exemple, il n’est pas rare que le FIC identifie des ressortissants étranger comme étant les véritables bénéficiaires effectifs alors que l’identité de ressortissants zambiens avait été déclarée ; des bénéficiaires effectifs alors que personne n’avait été déclaré ; ou d’autres bénéficiaires effectifs en plus de ceux déclarés au registre. Cela s’explique notamment par un faible niveau de conformité. Environ un tiers des entreprises ont digulgué des informations, ce que le gouvernement zambien tente actuellement d’améliorer par des modifications de la législation et des actions de sensibilisation.

Toutefois, « le registre est essentiel », selon le FIC. Des enquêtes peuvent être lancées à la suite de des signalements de transactions douteuses. « Il peut s’agir de pots-de-vin, donc nous travaillons en amont en contrôlant le registre ». Quand le FIC identifie des bénéficiaires effectifs différents de ceux qui sont inscrits au registre, cela constitue un signal d’alerte qui justifie une enquête complémentaire.

Parallèlement aux informations concernant les parties prenantes et les directeurs, les déclarations sur la propriété effective confèrent une dimension supplémentaire en matière d’identification des liens existants entre des personnes physiques et morales, ce qui génère des pistes et aide à orienter et élargir la portée de l’enquête. « Dans notre travail quotidien, le registre des bénéficiaires effectifs est très important, car il nous aide à établir le champ d’application », a déclaré un analyste du FIC. « Une fois qu’une personne physique est identifiée en tant que bénéficiaire effectif d’une entité et que l’on compare son nom avec les informations du registre, il est possible de voir un plus grand nombre d’entreprises associées à cette même personne physique […] On peut consulter les informations d’une entreprise sans savoir qu’il y a d’autres entreprises, et l’analyse financière doit s’étendre », a-t-il ajouté. « Il faut cibler ces entités et examiner chaque contrat que le gouvernement leur a adjugé […] A l’échelle d’un pays, cela permet de comprendre ce que vous pourriez avoir perdu ».

Bien que le FIC mène son propre processus de contrôle des informations, il a salué les efforts déployés par la PACRA en vue d’améliorer la précision des informations figurant dans le registre central des bénéficiaires effectifs et de recueillir davantage d’informations sur les entreprises étrangères, car le FIC pense que cela lui permettra probablement de gagner du temps – un atout précieux dans les enquêtes.

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Le gouvernement zambien renforce actuellement son système de divulgation avec l’appui d’Opening Extractives.

Les données sur la propriété effective sont également utilisées par les journalistes dans leurs enquêtes. L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (Projet de rapports sur le crime organisé et la corruption – OCCRP) a établi une plateforme de données innovante appelée « Aleph » pour aider les journalistes à suivre l’argent en bénéficiant de « données détaillées sur les personnes d’intérêt, les entreprises, les transactions financières, etc. ». [15] La plateforme Aleph privilégie les ensembles de données qui aident les utilisateurs à surveiller les actifs et la propriété des entreprises, souvent outre-frontière. Elle contient des données provenant de plus de 50 registres d’entreprises, y compris des registres centraux de bénéficiaires effectifs, et elle permet aux journalistes de contextualiser les informations qu’ils obtiennent sur des personnes physiques, des entreprises ou des actifs d’intérêt. Cela peut aider à identifier des pistes susceptibles de dévoiler des cas de corruption.

Par exemple, quand des journalistes obtiennent des informations sur les comptes bancaires ou les biens possédés par une entreprise, ils peuvent utiliser la plateforme Aleph pour consulter les noms des entreprises indiquées comme étant les propriétaires des documents et des sources, y compris les données sur les registres de bénéficiaires effectifs, et trouver le propriétaire enregistré, puis comparer ces informations avec celles contenues dans d’autres bases de données telles que des registres de biens et des listes de PPE. Les relations dans les données ne permettent pas d’établir un acte répréhensible, mais elles peuvent donner des pistes qui méritent d’être examinées. Par exemple, quand l’étendue du patrimoine d’un fonctionnaire est disproportionnée par rapport à ses revenus officiels, cela peut être un signe de corruption. [16]

Le registre public du Luxembourg utilisé par des journalistes pour enquêter sur de possibles actes de corruption impliquant des parcs éoliens argentins[17]

Depuis 2018, les autorités d’enquête et de poursuite enquêtent sur Gianfranco Macri, le frère de l’ancien président argentin Mauricio Macri, et sur au moins un fonctionnaire de son gouvernement, concernant des transactions qui seraient frauduleuses dans le cadre de l’achat et de la vente de six parcs éoliens. Selon l’OCCRP, les transactions « auraient rapporté à l’ancien président et sa famille environ 70 millions de dollars américains». Les données du registre public luxembourgeois des bénéficiaires effectifs ont considérablement contribué à faire avancer cette enquête en cours. [18]

En 2021, l’OCCRP et le journal argentin La Nación ont publié un article révélant que Gianfranco Macri était inscrit en tant que bénéficiaire effectif d’une entreprise enregistrée au Luxembourg, Lares Corporation S.A. SPF. L’un des journalistes menant l’enquête a trouvé le nom en examinant une liste de ressortissants argentins qui étaient enregistrés en tant que bénéficiaires effectifs dans les données sur la propriété effective du Luxembourg. Après avoir trouvé ce lien, l’équipe a découvert que Lares Corporation faisait partie d’une chaîne d’entités enregistrées en Argentine, au Luxembourg et en Espagne qui avaient été utilisées pour acheter et vendre des parcs éoliens au cours de la présidence de Mauricio Macri.

Selon l’article de l’OCCRP, l’organe de presse argentin Perfil avait déjà divulgué l’utilisation d’une entreprise de construction associée à la famille Macri et possédée par une entreprise luxembourgeoise, Rainbow Finance, dans les transactions liées aux parcs éoliens, mais ni les journalistes ni les autorités d’enquête et de poursuite n’avaient pu établir de liens entre Rainbow Finance et la famille Macri. Ce lien était Lares Corporation, qui avait investi dans Rainbow Finance. L’article cite une source proche de l’enquête officielle : « Alors que l’enquête piétinait, la découverte de la nouvelle entreprise luxembourgeoise pourrait être un élément de preuve clé pour comprendre la manière dont la famille Macri avait bénéficié de ces transactions. [19]

En réponse à un rapport médiatique, un porte-parole de la famille a confirmé que cette dernière avait utilisé Lares Corporation pour investir dans des énergies renouvelables et que Lares avait investi dans les parcs éoliens par le biais de Rainbow Finance, mais que celle-ci était « un fonds d’investissement commun », déclarant que les investissements réalisés par Gianfranco Macri avaient été limités. Le porte-parole a également indiqué que Lares Corporation avait été dûment déclarée en Argentine.

A la suite de la publication de cet article, les journalistes argentins ont soumis la documentation de leur découverte au juge en charge de l’affaire et ont témoigné au tribunal. Le juge a envoyé une demande officielle d’information [20] au Luxembourg et à l’Espagne, sur la base de la soumission de cette nouvelle preuve. Un journaliste ayant travaillé sur cet article a indiqué que c’est grâce à l’accessibilité des informations sur Lares Corporation dans le registre public du Luxembourg qu’il avait été possible de le rédiger. Bien que la possibilité d’effectuer des recherches par nom de bénéficiaire parmi les données du projet OpenLux ait joué un rôle essentiel dans l’établissement du lien entre Gianfranco Macri et Lares Corporation, l’OCCRP et Le Monde ont dû télécharger et restructurer les millions d’entrées de données contenues dans le registre.

Cette étude de cas a été écrite avant que la Cour de justice de l’Union européenne ne rende son arrêt le 22 novembre 2022 relativement aux affaires conjointes C-37/20 et C-601/20. À la suite de l’arrêt, « l’accès au site Internet du registre des bénéficiaires effectifs est temporairement suspendu ». [21]

Lares Corporation S.A. SPF dans le registre luxembourgeois des bénéficiaires effectifs

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Source : www.lbr.lu/mjrcs-rbe, 13 octobre 2022

Réduire les risques de corruption grâce à des prises de décisions éclairées

Chaque jour, les gouvernements et les entreprises prennent des décisions pour déterminer la manière d’affecter leurs ressources, avec qui faire des affaires et où ne pas investir. Si les informations sur la propriété effective sont confiées à ceux qui assument des responsabilités en matière de vérification préalable, cela peut aider à découvrir des liens douteux, des cas de corruption et des conflits d’intérêts qui échappent à d’autres contrôles réguliers.

Exécution d’achats propres

Les informations sur la propriété effective sont utilisées dans les processus d’achat des gouvernements pour contribuer à identifier qui est derrière les entreprises que les juridictions sélectionnent pour fournir des biens, des travaux et des services. Les pouvoirs adjudicateursutilisent les données sur la propriété effective pour identifier les conflits d’intérêts susceptibles de se présenter lorsqu’il existe des liens entre des entreprises répondant à des appels d’offres et des personnes entretenant des relations politiques. Ces données offrent l’avantage supplémentaire de permettre d’identifier les signes de fraude tels que des soumissions concertées. [22]

Dans le secteur extractif, les fournisseurs de biens et de services, depuis les grandes multinationales jusqu’aux petites entreprises locales, mènent des activités qui représentent plusieurs milliards de dollars pour les entreprises, les entreprises d’État et les gouvernements. Les contrats de fourniture représentent un canal majeur pour les bénéfices économiques locaux provenant des activités d’extraction, mais ils posent également un grave risque de corruption : un examen portant sur plus de 40 affaires de corruption dans le secteur extractif a montré que les fournisseurs étaient impliqués dans des abus dans au moins 29 pays sur cinq continents. [23] La transparence des achats améliore la supervision des fournisseurs et la publication des données sur la propriété effective peut contribuer à garantir que les contrats d’achat locaux soient adjugés de manière équitable.

La publication des données sur la propriété des entreprises qui ont soumissionné dans le cadre d’appels d’offres et auxquelles des gouvernements ont adjugé des contrats renforce encore la transparence et peut avoir un effet dissuasif. [24] Selon une étude de la Banque mondiale reposant sur les données de 88 pays en développement, une transparence accrue des marchés publics a permis d’augmenter le nombre d’entreprises participant aux marchés des achats et de réduire les pots-de-vin versés aux fonctionnaires, ainsi que d’accroître la participation des petites entreprises disposant de moins de ressources pour face à des systèmes corrompus. [25] La publication des données sur la propriété effective des entreprises soumissionnant pour des marchés publics ou auxquelles des contrats publics sont adjugés est une approche qu’adoptent diverses juridictions, telles que le Kenya et la Slovaquie. [26]

L’Union européenne (UE) a utilisé ARACHNE, un « outil informatique intégré pour l’extraction de données et l’enrichissement de données » en vue de mener le processus de vérification préalable pour son Fonds social et son Fonds de développement régional. [27] ARACHNE utilise les informations sur la propriété effective parallèlement à d’autres informations d’entreprises pour « identifier, sur la base d’un ensemble d’indicateurs de risques, les projets, les bénéficiaires, les contrats et les entrepreneurs qui pourraient être exposés à des risques de fraude, de conflit d’intérêts et d’irrégularités ». [28] La mise en œuvre d’ARACHNE précède celle des registres centraux de nombreux États membres de l’UE, et elle utilise un ensemble de données commerciales sur la propriété effective.

Renforcement de la gouvernance des licences extractives

La concurrence qui se joue pour obtenir des licences d’exploration et de production dans le secteur extractif encourage la corruption. Les entreprises peuvent chercher à bénéficier d’avantages indus en utilisant des pots-de-vin ou la collusion, et les décideurs gouvernementaux peuvent tirer parti de leur pouvoir à des fins financières personnelles. [29] Les fonctionnaires chargés des décisions en matière d’octroi de licences peuvent exploiter les informations sur la propriété effective de diverses manières.

Ces informations peuvent orienter les décisions – par exemple, établir s’il faut refuser d’octroyer des licences, en révoquer ou refuser d’en renouveler – dans les cas où des informations montrent des signes de corruption potentielle tels que des conflits d’intérêts et des pots-de-vin. Elles peuvent également aider à identifier des violations aux règles de conformité ou des fraudes – par exemple, si plusieurs entreprises possédées par les mêmes personnes conspirent pour faire baisser les prix de concessions pétrolières et gazières.

De plus, les données sur la propriété effective pourraient contribuer à déceler des conflits d’intérêts dans l’analyse des évaluations de l’impact environnemental de projets extractifs – des conditions préalables pour la délivrance de licences. Dans certains cas, les informations provenant du registre national des bénéficiaires effectifs peuvent suffire pour établir l’existence possible de conflits d’intérêts. Dans d’autres situations, telles que celle de l’étude de cas en Argentine présentée ci-dessus, les enquêtes bénéficient d’analyses croisées avec les données d’autres juridictions. Cela n’est possible que si les données sur les bénéficiaires effectifs sont accessibles au public.

L’ITIE a été un moteur clé de la transparence dans le secteur extractif. L’Exigence 2.5 de la Norme ITIE 2019 recommande que « les pays mettant en œuvre l’ITIE tiennent un registre public des bénéficiaires effectifs des entreprises qui font une demande de licence ou de contrat pétrolier, gazier ou minier, de production ou d’exploration, ou y détiennent une participation directe, incluant l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, leur degré de participation, et les modalités d’exercice de cette participation ou du contrôle desdites entreprises ». [30] Reconnaissant les risques de corruption, l’Exigence note également que la définition d’un bénéficiaire effectif doit préciser les obligations de déclaration pour les PPE.

Utilisation de données sur la propriété effective dans les décisions en matière d’octroi de licences minières au Nigeria[31]

L’Office nigérian du Cadastre minier (MCO) est chargé de l’administration et de la gestion des concessions pour l’extraction d’environ 44 minéraux, conformément à la loi nigériane et aux principes de l’agence, y compris la transparence.

En juillet 2019, le MCO a décidé que la soumission d’une déclaration complète de la propriété effective était une condition préalable pour les nouvelles demandes et les renouvellements de licences. Le MCO utilise les données pour décider s’il convient ou non d’octroyer de nouvelles licences à des entreprises spécifiques, ce qui lui permet d’améliorer la réglementation des octrois de licences et de la mobilisation des revenus. Le personnel utilise également les données sur la propriété pour identifier d’anciens titulaires de concessions minérales qui cherchent à éviter de payer des dettes en souffrance en abandonnant leurs anciennes licences et en en demandant de nouvelles au travers d’entreprises nouvelles.

S’il est constaté que des détenteurs de licences minières figurant dans les déclarations d’entreprises qui demandent de nouvelles licences détiennent des participations dans des entreprises qui n’ont pas payé des frais de service annuels par le passé, ces détenteurs doivent rembourser leurs dettes, sans quoi leur nouvelle demande sera refusée.

Entre 2019 et 2021, 15 483 demandes ont été refusées et 4 997 ont été révoquées et, au premier trimestre de 2022, il y avait plus de 6 500 concessions actives. Bien que le MCO ait adopté d’autres réformes applicables au processus d’examen des demandes parallèlement à l’exigence de soumission de données sur la propriété effective, le personnel de direction a indiqué lors d’un entretien que « notre profil de revenus a considérablement augmenté en utilisant les données sur la propriété effective ». En 2021, les revenus générés par le MCO ont atteint des niveaux records – 4,3 milliards de nairas (environ 9,8 millions de dollars américains), soit plus du double des revenus enregistrés en 2018.

Le partage des données et la coopération avec d’autres agences gouvernementales constituent une composante clé de l’approche du MCO. Selon le personnel du MCO, au cours des prochains mois et des prochaines années, « le plus important pour nous sera d’établir des liens » afin que toutes les agences gouvernementales ayant besoin de données sur la propriété effective et d’autres informations sur les licences minières puissent y accéder.

Le lancement en novembre 2022 d’un nouveau système électronique de cadastre minier (EMC+) marque une étape clé sur ce parcours. L’objectif est que ce système soit partagé entre les pays de la région de l’Afrique de l’Ouest. Tandis que le Nigeria renforce son écosystème de données sur la propriété effective, le MCO assume un rôle majeur en tant que fournisseur de données. Les déclarations du MCO sur la propriété effective figurent sur un formulaire qui a été conçu pour correspondre au portail de données sur la propriété effective de l’ITIE Nigeria dans le secteur des minéraux solides et les données sur la propriété effective regroupées dans le cadre du processus d’octroi de licences du MCO sont utilisées pour mettre à jour le registre de l’ITIE Nigeria.

Suite au lancement du portail EMC+, il y aura également un fournisseur de données pour la Commission des affaires d’entreprise (CAC) du Nigeria, qui héberge le nouveau registre couvrant l’ensemble de l’économie du pays. Par ailleurs, le MCO collabore de près avec les organes d’enquête et d’application des lois, dont l’Unité de renseignement financier et la Commission des crimes économiques et financiers du Nigeria. Ces entités peuvent obtenir auprès du MCO des informations sur la propriété effective ainsi que d’autres informations sur les demandeurs et les détenteurs de licences minières dans le cadre d’enquêtes, notamment sur des affaires de corruption.

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L’apprentissage par les pairs dans le cadre du programme Opening Extractives appuie la transparence de la propriété effective au Nigeria

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Des approches fondées sur les données pour une dilligence raisonnable efficace des entreprises

Les données sur la propriété effective sont utilisées par des entités soumises à des obligations de lutte contre le blanchiment d’argent, telles que les banques et d’autres entreprises, dans le cadre de leurs contrôles obligatoires d’identification de la clientèle (« Know Your Customer »). Ces contrôles utilisent des données provenant de registres de bénéficiaires effectifs ou de fournisseurs de données, qui eux-mêmes s’appuient sur des registres. [32] Un grand nombre de fournisseurs de données sur la propriété effective ont lancé des approches axées sur les données en matière de processus de contrôle préalable et les ont intégrées dans des solutions logicielles pour les banques et d’autres entreprises, parfois appelées le « secteur des technologies de réglementation » (« RegTech sector »). Les institutions soumises aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent apportent souvent une contribution majeure pour déceler des transactions susceptibles de résulter du produit de la corruption. Leur accès à des données solides est essentiel pour assurer la réussite des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent et stimuler l’innovation dans l’utilisation des données sur la propriété effective, de manière à apporter un appui plus global à la lutte contre la corruption.

Les données sur la propriété effective sont également utilisées par les entreprises d’État et privées pour leurs processus d’identification préalable de la clientèle, des fournisseurs, des vendeurs et des partenaires commerciaux avec lesquels une entreprise décide de s’engager. Par exemple, Petrobras, une entreprise d’État pétrolière au Brésil, exige désormais des fournisseurs, des clients, des entreprises parrainées, des partenaires et d’autres contreparties qu’ils déclarent l’identité de leurs bénéficiaires en dernier ressort. [33] Les principales sources d’informations privées utilisées par les entreprises dans leurs processus de vérification préalable intègrent des informations sur la propriété qui proviennent directement de registres des bénéficiaires effectifs et qui en dépendent.

Dans une enquête menée par Open Ownership sur l’utilisation de telles données par les entreprises privées, les entreprises minières et d’extraction de minéraux ont toutes indiqué que les informations sur la propriété étaient « un peu » à « très » importantes pour réaliser des évaluations régulières des processus de lutte contre la corruption ou de conformité. [34] S’agissant des entreprises de manufacture de composants électroniques, d’exploitation minière et d’extraction de minéraux, ces données sont pertinentes pour se conformer à la législation – par exemple, la Loi américaine sur la corruption dans les transactions à l’étranger (United States Foreign Corrupt Practices Act) et la Loi britannique sur les pots-de-vin (UK Bribery Act) – et aux réglementations sur la lutte contre le blanchiment d’argent. Ces données sont d’autant plus importantes dans les contextes où les risques de corruption et de pots-de-vin sont perçus comme plus répandus.

Utilisation des données sur la propriété effective pour identifier des signaux d’alarme dans le cadre des processus d’identification préalable de la clientèle[35]

L’équipe de développement commercial d’un fabricant international d’équipements miniers en Zambie a régulièrement utilisé les informations sur la propriété effective pour mener des processus d’identification préalable de la clientèle à l’encontre d’entreprises minières artisanales qui cherchent à acheter des équipements, ainsi que des contrôles visant à établir l’existence éventuelle de corruption. Un ancien responsable au sein de la manufacture a décrit l’utilisation quotidienne des données provenant de l’ITIE Zambie sur les licences minières ainsi que des informations des entreprises provenant de la PACRA pour rechercher des signaux d’alerte tels que l’utilisation potentielle de sociétés-écrans ou le non-respect des réglementations sur les licences minières. Dans les cas où des contrôles préalables ont signalé des alertes, l’équipe a immédiatement mis fin au processus, afin d’éviter d’entacher sa réputation ou d’engager sa responsabilité juridique.

Le fabricant a refusé de soumettre des devis à des entreprises dans les cas où il découvrait des données indiquant que ses actionnaires et ses bénéficiaires effectifs avaient des affiliations politiques. De telles découvertes justifiaient une cessation immédiate des affaires pour éviter d’être complice de corruption. Le fabricant a également refusé de soumettre des devis s’il décelait des signes d’utilisation de sociétés-écrans.

La personne interrogée a indiqué que, dans un cas, « nous avons découvert, grâce à la liste de licences [de l’ITIE Zambie], l’existence d’une personne physique détenant plus de 300 licences d’exploration et d’exploitation minière artisanale en Zambie au travers de différentes entreprises […] cela n’avait pas été décelé par la commission minière. Cela nous pose un problème ». Au vu des efforts qui semblent avoir été déployés pour dissimuler la propriété par le biais de structures-écrans, le fabricant n’a pas soumis de devis. Dans un autre cas, il n’a pas non plus soumis de devis, car le bénéficiaire effectif indiqué en tant que client potentiel semblait être une société écran dont les coordonnées étaient « aberrantes », notamment une fausse adresse électronique et une adresse physique qui, à la suite d’une visite, s’est avérée se situer au milieu d’un champ.

Bien que l’entreprise concernée soit active dans plusieurs pays, y compris le Burkina Faso et la République démocratique du Congo (RDC), il a seulement été possible de mener les contrôles préalables habituels avec les données sur la propriété en Zambie. Dans les autres pays, aucune information numérique n’était disponible et les coûts d’extraction en personne de dossiers non numériques étaient prohibitifs. Toutefois, l’équipe n’a pas rencontré de difficultés dans l’utilisation des données de la PACRA.

Du fait de la nécessité de payer pour chaque enregistrement, l’entreprise n’a contrôlé les informations sur la propriété effective qu’environ 10 à 20 % du temps, alors qu’elle l’aurait fait systématiquement si l’utilisation des données avait été gratuite. Par ailleurs, le responsable a indiqué que des contrôles complémentaires des informations de base telles que les adresses physiques étaient nécessaires.

De plus, l’entreprise aurait bénéficié d’une plus grande intégration des informations entre les données sur les licences et les données de la PACRA, ce qui aurait également permis aux autorités d’avoir une « vue globale de l’origine de l’argent ». La réalisation d’une telle intégration nécessiterait des données sur la propriété effective qui sont structurées et interopérables afin d’être mises à disposition en masse. Cela pourrait inclure l’établissement de liens entre les données sur des comptes bancaires associés à des entreprises ou à des licences pour établir le nombre d’entreprises utilisant un seul compte. Par ailleurs, les informations intégrées pourraient comprendre le niveau de conformité aux réglementations telles que celles sur la déclaration des actionnaires et des bénéficiaires effectifs et la soumission des déclarations de revenus.

Une affaire de corruption récente impliquant Glencore, une entreprise d’exploitation de ressources diverses, illustre l’impact potentiel du manquement d’une entreprise à mener un processus efficace de vérification préalable de tiers. En juin 2022, l’entreprise a plaidé coupable pour des actes de corruption dans le cadre d’activités pétrolières en Afrique, notamment au travers d’agents et de tiers. [36] Selon des acteurs de la société civile, l’une des solutions consiste à ce que Glencore mette en œuvre un système de vérification préalable de tiers qui sonnerait l’alerte en cas de risques de corruption manifestes. D’autres mesures pertinentes comprennent le contrôle de la propriété effective des agents pour vérifier s’il y figure des PPE ayant des conflits d’intérêts ou de personnes physiques ou morales inculpées ou pour lesquelles des éléments crédibles indiquent qu’elles ont été impliquées dans des infractions de corruption. [37]

Dans le cadre de ses réformes récentes en matière de lutte contre la corruption, Glencore a démarré la divulgation volontaire des bénéficiaires effectifs de ses partenaires de coentreprise et de ses agents – en particulier les tiers à haut risque. [38] L’édition 2021 du rapport d’éthique et de conformité de Glencore dispose que les procédures de l’entreprise exigent qu’elle obtienne des informations sur la propriété effective et qu’elle « ne s’associe pas et ne conclut aucun contrat avec des partenaires commerciaux pour lesquels il a été évalué qu’ils présentaient un risque élevé de corruption et qui refusent d’identifier leurs bénéficiaires effectifs, à moins que des mesures d’atténuation appropriées soient mises en œuvre pour réduire le risque de corruption ». [39]

Croisement des informations sur la propriété effective avec d’autres données sur une plateforme de contrôle préalable pour déceler des partenaires commerciaux potentiellement corrompus [40]

Une entreprise ukrainienne appelée YouControl a utilisé les données du registre des bénéficiaires effectifs du pays pour établir son « système analytique en matière de conformité, d’analyse du marché, de veille stratégique et d’enquêtes ». En Ukraine, la lutte contre la corruption a été au cœur d’une série de réformes qui ont fait suite à la Révolution de la dignité de 2014, y compris l’établissement du premier registre public des bénéficiaires effectifs au monde. [41] YouControl recueille, regroupe et analyse les données provenant de 180 sources crédibles – dont le registre de l’Ukraine – pour présenter des profils complets sur les entreprises, notamment des informations qui devraient permettre de signaler des alertes telles que le non-paiement d’impôts ou des poursuites judiciaires en cours.

Les études de cas figurant sur le site Internet de YouControl sont des exemples d’entreprises qui n’ont pas noué de relations commerciales avec des tiers ayant commis une fraude et détourné des fonds publics, évitant ainsi le risque de devenir complices du blanchiment du produit de ces infractions. [42]

Des clients ont également signalé des irrégularités aux autorités. YouControl propose une plateforme prometteuse et innovante qui illustre l’utilisation possible des registres de bénéficiaires effectifs par des tiers s’ils sont accessibles au public et ouverts et si leur utilisation est gratuite.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’entreprise a développé un nouvel outil appelé RuAssets, qui permet aux entreprises de contrôler l’existence de liens avec des PPE et des personnes physiques placées sur les listes de sanctions originaires de Biélorussie, du Kazakhstan, de Russie et d’Ukraine. Cet outil utilise les informations sur la propriété effective pour aider à établir des liens entre des entreprises et des personnes physiques. Bien que son objectif principal consiste à faciliter le respect des sanctions, il est possible de l’utiliser pour faire ressortir des conflits d’intérêts potentiels et d’autres signaux d’alerte en termes de corruption.

Analyser des données pour fournir des informations utiles sur la lutte contre la corruption et son impact

Les informations sur la propriété effective peuvent être utilisées pour déceler des tendances pertinentes dans l’identification de risques de corruption et pour évaluer l’efficacité des politiques de lutte contre la corruption. Les autorités d’enquête et de poursuite, la société civile, les gouvernements et d’autres acteurs peuvent analyser les données afin de mieux comprendre les tendances et les comportements qui peuvent indiquer l’existence éventuelle de corruption. Une telle analyse peut apporter un éclairage nouveau sur la manière dont les acteurs corrompus s’orientent dans les systèmes financiers et économiques et les exploitent, et donner lieu à des enquêtes proactives. Le plein potentiel des données sur la propriété effective demeure encore inexploité et elles présentent un important potentiel en termes d’intégration dans d’autres ensembles de données pour orienter la formulation de politiques de lutte contre la corruption et faire ressortir l’existence de risques systémiques.

Ukraine 1

Le groupe multipartite de l’ITIE Ukraine discute de l’importance du contrôle des données figurant dans le registre public

Les informations sur la propriété aident déjà les chercheurs à évaluer leur impact dans un éventail d’aspects politiques, y compris le recouvrement des recettes nationales. Par exemple, selon une étude récente reposant sur des données concernant la propriété effective, [43] la mise en œuvre de la Norme commune de déclaration – qui promeut la transparence fiscale au travers de l’échange automatique d’informations de comptabilité financière entre plusieurs juridictions – a amené les titulaires de comptes dans les paradis fiscaux à changer la manière dont ils conservent leur patrimoine. [44] De même, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) utilise les données du registre d’Open Ownership dans sa base de données analytique sur les multinationales et les sociétés affiliées. Elle vise à fournir de nouvelles informations sur les multinationales et leurs profils mondiaux.

Selon l’OCDE, « il est essentiel de comprendre où se trouvent les entreprises multinationales, comment elles fonctionnent et où elles paient des impôts pour pouvoir élaborer des politiques saines et établir des statistiques macroéconomiques fiables». [45]

Évaluation de l’efficacité des politiques

Une approche itérative est souvent requise pour assurer une mise en œuvre efficace de la transparence de la propriété, et les analyses de données peuvent soutenir l’amélioration des politiques, des réglementations et des processus des entreprises que les juridictions mettent en place pour promouvoir la transparence de la propriété. Les acteurs politiques peuvent utiliser les données qu’ils détiennent pour aider à comprendre l’efficacité de leurs procédures de divulgation en matière d’appui aux objectifs de politiques de lutte contre la corruption. La société civile et les journalistes peuvent également soutenir cet objectif en utilisant les données publiques pour responsabiliser les gouvernements relativement à leurs engagements à détecter et décourager efficacement la corruption par le biais de réformes.

Par exemple, les sociétés en commandite régies par le droit écossais (Scottish limited partnerships – SLP) – une forme juridique connue pour poser des risques de blanchiment d’argent lié à la corruption [46] – n’étaient pas tenues de divulguer les informations sur leur propriété effective au Royaume-Uni lorsque le registre de ce dernier a été établi. Alors que le nombre de nouvelles SLP a pratiquement doublé au cours de l’année qui a suivi le lancement du registre et que ces SLP étaient liées aux mouvements d’un total de 80 milliards de dollars américains provenant de la Russie, le gouvernement britannique a intégré les SLP dans le champ d’application des règles de transparence de la propriété effective, et le taux d’établissement de nouvelles SLP a chuté de 80 %. [47] Ces données indiquent que, pour les personnes physiques, le manque de transparence était un facteur important dans leur choix de recourir à des SLP, et que l’inclusion subséquente de ces dernières dans le champ d’application des divulgations a eu un effet dissuasif. Depuis, les médias ont présenté des tendances similaires soulignant les abus potentiels des sociétés en commandite régies par le droit irlandais et de celles régies par le droit nord-irlandais, qui ne sont toujours pas incluses dans le champ d’application des exigences de déclaration de la propriété effective au Royaume-Uni. [48]

Utilisation des enseignements tirés de l’analyse des données en masse sur les sociétés à responsabilité limitée au Royaume-Uni pour améliorer les politiques de lutte contre le blanchiment d’argent[49]

Des recherches récentes menées par Transparency International UK (TI-UK) ont utilisé des analyses des données en masse sur la propriété de sociétés britanniques à responsabilité limitée (LLP) pour formuler des recommandations à l’intention du gouvernement britannique et renforcer son approche en matière de la lutte contre le blanchiment d’argent. Parmi ces recommandations figuraient des appels à étendre le rôle du Companies House, le registre britannique du commerce et des sociétés, consistant à garantir l’exactitude des données. Pour y parvenir, l’une des mesures prises par le Companies House a été de demander une preuve de l’identité des bénéficiaires effectifs. [50]

L’analyse a couvert plus de 50 affaires de corruption et de blanchiment d’argent qui représentaient approximativement 730 milliards de dollars américains de transactions douteuses impliquant des LLP britanniques. [51] Elle a identifié 8 caractéristiques constituant des signes d’abus potentiels de LLP aux fins de la grande délinquance financière. Lorsqu’ils ont comparé ces caractéristiques avec l’ensemble des LLP fondées au Royaume-Uni, les chercheurs ont observé que plus d’une LLP sur dix (soit plus de 21 000) présentait des caractéristiques « identiques à celles utilisées dans la grande délinquance financière, telles que le versement de pots-de-vin, le détournement de fonds publics et le contournement de sanctions ». Selon les éléments factuels à disposition, les chercheurs estiment l’impact économique de ce réseau de LLP allant de plusieurs dizaines jusqu’à des centaines de milliards de livres sterling.

L’une des caractéristiques identifiées dans l’échantillon de LLP était la présence de schémas spécifiques dans les informations sur la propriété effective. Dans l’échantillon étudié, s’agissant des LLP britanniques dont les données portent sur des personnes exerçant un contrôle substantiel (« Persons of Significant Control » – PSC), « il s’agit souvent d’une personne morale non conforme ou physique basée en Russie, en Ukraine ou dans un État balte ou ailleurs en ex-Union soviétique ». L’ensemble des LLP présentaient également des schémas similaires. Les informations publiques sur la propriété effective sont disponibles pour 1 077 de ces LLP. [52]

Il ressort des divulgations que plus de 80 % des LLP sont liées à des ressortissants non britanniques, dont la moitié sont des ressortissants originaires d’anciens États soviétiques, et la nationalité russe domine dans l’ensemble des données (17 %). Bien que cela ne prouve pas l’existence d’actes répréhensibles, la part des ressortissants d’États postsoviétiques semble anormalement élevée. [53]

De plus, l’analyse montre des schémas courants de non-conformité parmi les LLP figurant dans les données du registre des personnes exerçant un contrôle substantiel. Les entités juridiques britanniques peuvent être exonérées de l’obligation de divulgation si leurs entités juridiques mères sont déjà tenues de divulguer les informations sur leur propriété effective au Royaume-Uni, de sorte que l’entité déclarante n’est pas tenue de le faire à nouveau. Toutefois, au moins un quart de ces types de dépôts parmi l’échantillon de LLP portaient sur des entreprises basées dans des juridictions secrètes, ce qui signifie que les LLP sont non conformes et que l’identité de leurs bénéficiaires effectifs demeure cachée. Quant aux entités basées au Royaume-Uni qui figuraient dans les données déclarées, celles-ci n’étaient pas toujours assujetties aux exigences de divulgation britanniques. Ainsi, l’analyse a révélé l’existence de problèmes de conformité flagrants dans le régime britannique et a permis à TI-UK de proposer des recommandations politiques spécifiques pour combler ces lacunes.

Analyse des données pour découvrir les risques de corruption systémique

Les données sur la propriété effective divulguées pour satisfaire aux Exigences ITIE pourraient offrir à la société civile des informations qui lui permettraient de mieux comprendre la corruption dans le secteur extractif et d’en assurer un suivi. En l’absence de données structurées, les rapports ITIE aident les utilisateurs à établir des liens entre les données publiques sur la propriété et les informations sur les contrats, les entreprises d’État et les revenus. Ce travail a permis de lancer ou d’éclairer des enquêtes portant sur des transactions spécifiques au Cameroun, en RDC, en Indonésie et au Liberia. [54] Un plus grand nombre de juridictions produisent désormais des données structurées et les mettent à disposition en masse, ce qui permet aux analystes d’identifier les risques de corruption de façon proactive.

Par exemple, l’organisation de la société civile Directorio Legislativo a récemment lancé une plateforme de détection des cas éventuels de corruption en Colombie, appelée Joining the Dots, [55] et elle établit actuellement un projet similaire au Nigeria. Le projet cherche à faire ressortir les conflits d’intérêts et d’autres signaux d’alerte parmi les entreprises qui détiennent des licences extractives, en associant les données sur les bénéficiaires effectifs et les PPE aux informations figurant dans les formulaires de déclaration d’actifs. Au Nigeria, le projet utilisera des algorithmes conçus en consultation avec les partenaires locaux, afin d’identifier les facteurs de risques spécifiques au contexte et d’analyser les liens existants entre les entreprises et les PPE. Une analyse des données en masse peut aider à faire ressortir des vulnérabilités structurelles en matière de corruption. L’équipe travaillant sur le projet note que l’absence de déclarations publiques d’intérêts financiers au Nigeria, qui ont été utilisées pour la plateforme en Colombie, rend les informations provenant des registres de propriété effective essentielles. [56]

Le projet utilise les données du registre de l’ITIE Nigeria, ainsi que celles du registre public des bénéficiaires effectifs de la CAC récemment lancé, bien qu’à ce jour les données en masse de ce dernier registre soient encore difficilement accessibles.

D’autres idées de formes innovantes d’analyses des données sont également à l’étude. De nouvelles initiatives visant à relier les données sur la propriété aux sanctions et aux informations sur les biens immobiliers pourraient contribuer à identifier et contrer la kleptocratie et la corruption stratégique – des enjeux qui ont gagné en importance depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. [57] Dans les pays riches en ressources, les contrats gonflés représentent un moyen connu pour obtenir et distribuer des gains mal acquis provenant de ressources naturelles. [58] En associant les données ouvertes sur les passations de marchés et les dépenses à des informations structurées sur la propriété, les acteurs de la lutte contre la corruption peuvent être en mesure d’identifier des écarts possibles par rapport aux normes du secteur ou du marché et d’établir l’identité de ceux qui en tirent profit.

L’importance de la transparence de la propriété effective dans la réduction de la corruption sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur extractif

↳ Octroi de contrats et de licences

  • Prévient les conflits d’intérêts dans les octrois de licences, évite des relations commerciales avec des parties à risque.
  • Assure la conformité avec les interdictions en matière de propriété applicables aux PPE et les exigences nationales liées à la propriété.
  • Détecte l’existence de conflits d’intérêts dans les processus d’achat et d’octroi de licences des gouvernements.
  • Renforce la supervision des partenaires de consortium minoritaires dans des coentreprises avec des entreprises d’État – un risque de corruption majeur.

↳ Production et traitement

  • Améliore les processus de vérification préalable en soutenant le gouvernement et le secteur dans l’identification et la gestion des risques de réseau et de chaîne d’approvisionnement, y compris les risques de corruption.
  • Réduit la corruption dans les achats à différentes étapes de grands projets.

↳ Commerce de matières premières

  • Réduit les risques de corruption en détectant l’implication directe ou indirecte de PPE dans des transactions.

↳ Paiements d' impôts et de redevances

  • Cible les produits de la corruption en luttant contre le blanchiment d’argent par la divulgation de l’identité des personnes physiques qui bénéficient des entreprises en dernier ressort.
  • Attire les investissements en fournissant des informations aux investisseurs et aux analystes pour comprendre les structures fiscales et évaluer les risques politiques.

↳ Gestion et affectation du budget

  • Prévient les conflits d’intérêts dans la gestion des fonds de revenus de ressources naturelles par des tiers.
  • Révèle les tentatives de détournement des produits de la corruption au travers de sociétés-écrans ou de comptes à l’étranger.

↳ Services et infrastructures pour les citoyens

  • Détecte les risques de corruption et les conflits d’intérêts dans l’application des réglementations en termes de contenu local.
  • Permet aux autorités d’enquête et de poursuite d’identifier et de poursuivre des activités criminelles, y compris la corruption et d’autres pratiques préjudiciables pour les affaires.

Ce tableau présente la valeur des informations sur la propriété effective dans la réduction de la corruption en montrant des exemples de leur utilisation à différentes étapes de la chaîne de valeur des ressources naturelles. Nombre de ces informations sont transversales et, dans de nombreux cas, les bénéfices indiqués s’appliquent à plusieurs étapes.

Source : adapté de la proposition de projet d’Opening Extractives (non publiée, 2020).

L’importance de la transparence de la propriété effective dans la réduction de la corruption sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur extractif

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