Rendre publics les registres centraux des bénéficiaires effectifs

Catégories d’utilisateurs de données publiques relatives aux bénéficiaires effectifs

Grâce à la publicité des données relatives aux bénéficiaires effectifs, certaines catégories d’utilisateurs disposent de données auxquelles ils n’auraient pas eu accès avec des régimes dans lesquels les registres ne sont pas rendus publics, ou dont l’accès est subordonné à des obstacles juridiques, administratifs ou financiers. Ces catégories d’utilisateurs peuvent être classés comme suit :

  1. les utilisateurs du secteur public, notamment les autorités chargées de l’application de la loi et les autorités compétentes concernées d’autres administrations, ainsi que les divers ministères du gouvernement autorisant la publication;
  2. les utilisateurs du secteur privé, notamment les entreprises qui sont des entités assujetties à la législation anti-blanchiment de capitaux, les entités non assujetties, et des fournisseurs et réutilisateurs de données relatives aux bénéficiaires effectifs;
  3. la société civile, notamment les journalistes, les chercheurs et le grand public.

La section suivante met en lumière les avantages potentiels pour l’intérêt général que représentent les interactions de ces catégories d’utilisateurs avec les données relatives aux bénéficiaires effectifs.

Utilisateurs du secteur public

Autorités chargées de l’application de la loi et autres autorités compétentes concernées

Si, pour les régimes dans lesquels les RBE ne sont pas ouverts au public, les autorités chargées de l’application de la loi et les autres autorités compétentes (par ex. les services fiscaux) ont généralement accès aux données nationales relatives aux bénéficiaires effectifs, elles représentent également une catégorie importante d’utilisateurs de ces données dans d’autres pays lorsqu’elles sont rendues publiques. La majorité des crimes financiers impliquent plusieurs juridictions. Malgré le fait qu’il existe plus ou moins de données sur les demandes d’entraide judiciaire, les évaluations du Groupe d’action financière (GAFI) et les discussions entre Open Ownership (OO) et les autorités chargées de l’application de la loi indiquent que ce sont des procédures très longues. Selon un examen des rapports d’évaluation mutuelle du GAFI réalisé par Transparency International (TI), « les autorités compétentes notent qu’il est plus difficile d’identifier le bénéficiaire effectif d’une entreprise étrangère ou d’une entreprise nationale dont une partie de sa structure de propriété est étrangère. En l’absence de registres publics des bénéficiaires effectifs, elles font généralement une demande [d’entraide judiciaire], une procédure longue et complexe, » (voir l’Encadré 1), dont l’émission et la réponse nécessitent des ressources considérables. Les inconvénients juridiques comparatifs entre pays peuvent également nuire à l’aboutissement d’une demande d’entraide judiciaire.C’est notamment le cas pour les demandes entre pays de common law et de droit civil, où juges et juristes peuvent ne pas comprendre l’infraction ou l’affaire instruite et la demande d’informations.

Encadré 1: l’entraide judiciaire dans les évaluations mutuelles du Groupe d’action financière

En 2016, l’évaluation du Canada réalisée par le GAFI révèle qu’il est souvent impossible d’identifier un bénéficiaire effectif lors d’enquêtes impliquant une entité étrangère en grande partie parce que les juridictions étrangères ne répondent pas aux demandes d’informations des autorités canadiennes sur les bénéficiaires effectifs. En 2018, l’évaluation du Ghana cite également des retards et un comportement non-coopératif de la part de certains pays. Une évaluation de Hong Kong indique que la réponse à une demande d’entraide judiciaire peut prendre un an. Ces évaluations mettent en lumière les problèmes que rencontrent les autorités chargées de l’application de la loi lorsqu’elles tentent d’obtenir des données relatives aux bénéficiaires effectifs auprès d’une juridiction étrangère, à savoir des données non disponibles, des données de qualité discutable, des données non partageables au niveau international, ainsi que d’autres obstacles juridiques et bureaucratiques.

Cette situation a entrainé l’émergence de des mécanismes informels d’échange d’informations, comme l’Egmont Group. Lors de discussions avec OO, des représentants chargés de l’application de la loi ont confirmé que les registres publics des bénéficiaires effectifs étaient une ressource importante et précieuse pour leurs enquêtes.Bien que les données relatives aux bénéficiaires effectifs puissent ne pas être des preuves admissibles devant un tribunal, et même si elles peuvent ne pas être d’une totale exactitude, le fait d’obtenir le nom d’une personne ayant uncertain niveau de « responsabilité réelle » dans une entreprise est incroyablement utile lors d’enquêtes transnationales, » a déclaré un enquêteur.14 « Les forces de l’ordre ont besoin d’un accès direct, rapide et aisé à ces registres, »précise un spécialiste à Interpol. « Les demandes transfrontalières entre services de police ou la préparation et le traitement d’actes et de demandes judiciaires peuvent exiger énormément de temps et de ressources . »15 De plus, pour aboutir, les demandes d’entraide judiciaire doivent souvent justifier la nécessité de l’accès à ces informations.L’accès direct aux registres permet la réalisation d’enquêtes proactives. En l’absence d’infrastructure mondiale idéale de partage des données relatives aux bénéficiaires effectifs à l'échelle transnationale, les registres publics permettent un accès direct, rapide et aisé, pour des enquêtes non seulement réactives, mais aussi proactives.

Autres utilisateurs du secteur public

Parmi les principaux consommateurs de données ouvertes rendus publics par les gouvernements figurent les gouvernements eux-mêmes. En effet, certains organismes publics demandent et utilisent des données relatives aux bénéficiaires effectifs. Le partage des données entre ministères connaît souvent des difficultés techniques et juridiques. Une façon de les surmonter consiste à ouvrir ces données. Le Royaume-Uni, par exemple, a proposé d’intégrer les données relatives aux bénéficiaires effectifs dans un nouveau système de marchés publics.18 Du point de vue juridique, ces données servent l’intérêt général, elles existent en tant que données publiques, ce qui permettra à l’autorité britannique des marchés publics d’utiliser ces données sans avoir à établir de nouveau cadre légal ni à créer des mécanismes de partage des données techniquement complexes. Des préoccupations ont été exprimées à propos de l’utilisation abusive des données relatives aux bénéficiaires effectifs de la part d’autres ministères. Par exemple, en Arménie, les sociétés de médias craignent que la divulgation des bénéficiaires effectifs favorise l’ingérence et limite la liberté de la presse. Dans ce cas, l’accès public permettrait au public de contrôler l’utilisation des données.

Encadré 2: les données relatives aux bénéficiaires effectifs dans l’élaboration de politiques fiscales

Au Royaume-Uni, la Wealth Tax Commission a été établie début 2020 afin d’analyser les propositions d’impôt sur la fortune. La commission, chargée de déterminer si cet impôt est souhaitable et s’il peut être instauré, a collaboré avec des économistes, des juristes et des comptables dans le but d’étudier tousles aspects d’un impôt sur la fortune. Selon l’un des auteurs, « les données [relatives aux bénéficiaire seffectifs] sont essentielles à l’élaboration de politiques. À la Wealth Tax Commission, nous nous sommes servi de ces données pour mesurer les grandes fortunes imposables au Royaume-Uni. La rapport contient des recommandations à l’intention des gouvernements sur le fond et les modalités des différents types d’impôt sur la fortune, ainsi que des modèles et des estimations du montant de cet impôt.

Utilisateurs du secteur privé

Entités assujetties

Dans de nombreux régimes de divulgation avec des registres centraux fermés, les entités assujetties, telles que les institutions financières et les entreprises et professions non financières désignées (par ex. les comptables et les juristes) soumises à l’obligation de connaître leur client, peuvent accéder aux données relatives aux bénéficiaires effectifs. Néanmoins, tous les pays n’autorisent pas l’accès pour les institutions financières et les entreprises et professions non financières désignées dans les régimes avec des registres fermés.c Dans les pays qui le font, l’accès aux données relatives aux bénéficiaires effectifs pour des entités hors de la juridiction reste très difficile. Par conséquent, tant qu’un système ne fonctionne pas parfaitement, les registres publics offrent un meilleur accès pour les entités assujettis que les registres fermés.

Entités non assujetties

Les données relatives aux bénéficiaires effectifs sont non seulement utiles aux entités assujetties, mais elles aident aussi les entreprises à gérer les risques en indiquant avec qui elles font affaire. En 2016, 91% des dirigeants interrogés ont reconnu qu’il est important de connaître le bénéficiaire effectif de l’entreprise avec laquelle ils traitent. Une enquête réalisée auprès des responsables de chaînes d’approvisionnement a révélé que 84% d’entre eux citent le manque de visibilité dans la chaîne d’approvisionnement comme leur plus grande difficulté, et que « 80% des données opaques et non structurées échappent à la connaissance de la plupart des entreprises». La visibilité en amont de la chaîne d’approvisionnement, y compris les bénéficiaires effectifs des entreprises tout au long de cette chaîne, est essentielle afin de réduire le risque financier et de réputation que présentent,25 par exemple, les contrefaçons, et qui est favorisé par les entreprises de propriété anonyme. Aujourd’hui, si certaines entreprises achètent ces informations, elles évoquent souvent des problèmes, notamment de couverture et de qualité.27 En outre, ces coûts sont beaucoup plus élevés pour les petites entreprises.28Les données publiques relatives aux bénéficiaires effectifs permettent à toutes les entreprises d’avoir accès aux mêmes informations, diminuant les coûts des vérifications préalables et aidant les entreprises à réduire davantage les risques. Ainsi, les conditions sont équitables et contribuent à « préserver la confiance dans l’intégrité des transactions commerciales et le système financier », reconnaît la cinquième directive anti-blanchiment (voir l’Encadré 10).

Encadré 3: au Royaume-Uni, les entreprises utilisent les données publiques relatives aux bénéficiaires effectifs

Un examen du registre des bénéficiaires effectifs du Royaume-Unia révélé que la majorité des recherches des entreprises concernaient « des informations sur les clients (64%), et qu’il s’agissait davantage d’entreprises ayant une structure de propriété simple qu’une structure de propriété complexe (65%) ». Au total, 64% des entreprises interrogées estiment que les données sont utiles ou très utiles.

À l’échelle de la société, supprimer l’asymétrie de l’information entre les grandes entreprises capables de payer pour avoir un meilleur accès aux données et les petites entreprises s’appuyant sur des données publiques a pour effet d’accroître la concurrence sur le marché et de favoriser une culture de transparence et de confiance. Il n'est donc pas surprenant de constater qu’un nombre croissant d’entreprises demandent aux gouvernements un accès aux données relatives aux bénéficiaires effectifs. Selon Chris Robinson, responsable de la conformité chez la multinationale minière BHP : « Les registres publics des bénéficiaires effectifs représentent un excellent outil contre la corruption. C’est bien mieux que de conserver ces informations au sein du gouvernement. D’une part, les entreprises éthiques qui s’engagent à être intègres sont placées sur un pied d’égalité et, d’autre part, la corruption des entreprises est beaucoup plus difficile. Les registres publics garantissent un meilleur environnement d’investissement et une plus grande certitude au moment d’investir dans un pays. En tant qu’entreprise, BHP cherche à recueillir des informations sur les bénéficiaires effectifs des entreprises avec qui elle traite et ses fournisseurs. Ces informations sont souvent difficiles à vérifier. En rendant publiques ces informations, nous disposons de plus de ressources pour effectuer nos vérifications. C’est aussi beaucoup plus facile pour BHP de se renseigner sur des fournisseurs ».

L’utilisation des données relatives aux bénéficiaires effectifs est de plus en plus reconnue comme une meilleure pratique en matière de gouvernance environnementale et sociale. En 2021, à Davos, le Forum économique mondial a conclu que ces données étaient nécessaires pour avoir un aperçu des activités des tiers et des fournisseurs d’une entreprise, ainsi que de leurs actions potentiellement préjudiciables du point de vue social et environnemental. La prise de décisions en matière d'investissement repose de plus en plus sur les principes de la gouvernance environnementale et sociale, même lorsque des entreprises ne sont pas directement responsables, « à la lumière des preuves croissantes, de l’activisme et de la règlementation ». Le responsable durabilité d’un fonds d’investissement mondial a déclaré, « si vous n’êtes pas à l’aise avec votre processus de production ou votre chaîne d’approvisionnement, c’est sans doute pour une raison. En cette période de grande transparence, vous devez examiner vos produits, vos pratiques et votre chaîne de valeur. »

Fournisseurs et réutilisateurs de données relatives aux bénéficiaires effectifs

Les fournisseurs privés de données relatives aux bénéficiaires effectifs appellent de plus en plus les gouvernement à rendre publiques ces données. Ces fournisseurs ingèrent leurs données à partir des registres gouvernement aux, comme source principale. Leurs services incluent souvent la mise à disposition de données structurées, à l’aide d’un formatage standardisé sous un format numérique et lisible par machine. En général, ils offrent des données nettoyées et relèvent celles susceptibles de comporter des erreurs(comme des saisies inhabituelles pour des champs précis)ou d’être obsolètes. Les services plus spécialisés proposent le recoupement des informations avec des données d’autres systèmes, registres gouvernementaux et d’autres informations publiques, augmentant les données par une recherche open source onéreuse. En résumé, les fournisseurs de données relatives aux bénéficiaires effectifs offrent les mêmes services que les gouvernements dans certains régimes de transparence de la propriété effective : vérification des données et mise à disposition sous un format structuré. Étant donné que les gouvernement sont accès à d’autres sources non publiques, ils sont donc mieux placés pour assurer la vérification des données relatives aux bénéficiaires effectifs. Malheureusement, de nombreux gouvernements entravent cet accès, en imposant des obligations d’identification et d’enregistrement ou en se dotant de paywalls. Ainsi, il est difficile pour les fournisseurs de données relatives aux bénéficiaires effectifs d’ingérer et d’augmenter des données.

Encadré 4: YouControl ou la réutilisation des données relatives aux bénéficiaires effectifs en Ukraine

YouControl is a Ukrainian company committed to business transparency in Ukraine. It draws on data from Ukraine’s public BO register – the Unified State Register – to enable reduced corruption in Ukraine’s business sector. YouControl has developed an “analytical system for compliance, market analysis, business intelligence, and investigation”. It Elle extrait des données à partir de 87 registres officiels, including the Unified State Register for BO, as well as some of its own analysis to provide company profiles with a substantial amount of information, including anything that should raise red flags: unpaid taxes, pending lawsuits, and failure to file returns. YouControl charges the private sector for its services, but provides information for free to non-governmental organisations (NGOs), civil society organisations (CSOs), and universities. Publication of open data on YouControl’s website has been YouControl facture ses services au secteur privé, mais fournit des informations gratuitement aux organisations non gouvernementales (ONG),aux organisations de la société civile (OSC) et aux universités. En Ukraine, la publication des données ouvertes (open data) sur le site Internet de YouControl a contribué à la lutte contre la fraude et les pratiques commerciales déloyales. Des études de cas publiées sur ce site Internet montrent des exemples d’entreprises ayant économisé des centaines de milliers de dollars en faisant appel à YouControl pour identifier les opérations frauduleuses avant toute collaboration avec certaines entreprises. Les clients de YouControl ont également la possibilité de signaler des irrégularités aux autorités. Par ailleurs, YouControl fournit au gouvernement des conseils et des avis à propos du registre en tant que membre des on groupe de vérification.

Lorsque les gouvernements rendent publiques des données vérifiées sur les bénéficiaires effectifs, l’effet de marché fait monter les fournisseurs de ces données dans la chaîne de valeur de la prestation d’un service de nettoyage des données. Autrement dit, plus les données structurées ingérées par ces entreprises seront de qualité, plus elles pourront cibler des ressources humaines selon des aspects plus complexes de la recherche open source.Les fournisseurs de données relatives aux bénéficiaires effectifs offrent des outils toujours plus sophistiqués qui apportent encore plus de valeur à ce type de données.Par exemple, certains proposent d’adapter les offres à des utilisateurs spécifiques du secteur privé, en dehors des principales utilisations règlementaires, comme les investisseurs, ou les départements développement durable qui souhaitent mieux comprendre les relations entre les bénéficiaires effectifs et les autres entités.

Il apparaît progressivement que les données ouvertes sur les entreprises et les bénéficiaires effectifs ont une valeur économique considérable. Selon une étude de PwC, enItalie, les informations sur les bénéficiaires effectifs représentent 10% de la valeur économique totale du secteur de l’information. Une étude d’impact de Deloitte pour la Commission européenne a conclu : « L’expérience des pays précurseurs indique clairement une augmentation exponentielle de la valeur de l’information qui a émergé à la suite d’une plus grande disponibilité des données d’entreprise. Par ailleurs, il est tout à fait certain que ces exemples d’anticipation nous montrent ce qui pourrait se produire dans tous les autres pays ».

Encadré 5: la valeur économique des données relatives aux bénéficiaires effectifs au Royaume-Uni

Une étude de la Companies House de 2019 a estimé la valeur des données d’entreprises du Royaume-Uni à 1 100 livres sterling en moyenne par réutilisateur, avec un bénéfice total estimé entre 1 et 3 milliards de livres sterling par an, pour lequel les données relatives aux bénéficiaires effectifs représentent entre 40 et 120 millions de livres sterling, pour les utilisateurs seuls du Companies House Service. L’étude explique que « plus de la moitié des petits intermédiaires ont accédé aux produits de données brutes de la Companies House que lorsqu’ils étaient disponibles gratuitement. Ainsi, l’accès aux données gratuites a accéléré le développement de nouvelles activités commerciales ».

Société civile

La société civile, notamment les lanceurs d’alerte, les journalistes d’investigation, les chercheurs et le grand public, représente une importante catégorie d’utilisateurs de données publiques relatives aux bénéficiaires effectifs. Les acteurs de la société civile, qui utilisent des données accessibles au public et des données issues de fuites, comme les Panama et Paradise Papers, et les Luanda Leaks, jouent un rôle essentiel en faisant la lumière sur les cas de corruption et de crime financier. Par exemple, l’Organized Crime andCorruption Reporting Project (OCCRP), une plateforme de reportage d’investigation pour un réseau mondial de journalistes et de centres de presse indépendants, a contribué à plus de 7,3 milliards de dollars d’amendes infligées et d’actifs saisis, et plus de 500 arrestations, mises en examen et condamnations.

Encadré 6: des données publiques utilisées pour révéler des conflits d’intérêts au sein de l’UE

Avant de se lancer en politique en 2011 en menant une campagne anti-corruptionl’actuel premier ministre tchèque Andrej Babiš a travaillé dans le secteur privé et fondé l’Agrofert Group en 1993. Aujourd’hui, Agrofert compte plus de 250 filiales,notamment deux des quotidiens tchèques les plus importants, MF DNES et Lidové noviny, ainsi que le groupe de presse Mafra, qui possède iDnes, le site d’information tchèque le plus visité.

À la suite de l’adoption de la loi tchèque sur les conflits d’intérêts, qui empêche les membres du gouvernement et autres fonctionnaires d’avoir une participation majoritaire dans les médias d’information, M. Babiš a transféré sa propriété exclusive d’Agrofert Group à deux fonds fiduciaires : AB private trust I, détenant 565 actions (89,97 %) et AB private trust II, détenant 63 actions (10,03 %). Agrofert, actuellement présent dans 18 pays sur 4 continents, est immatriculé en Tchéquie et enSlovaquie où il est leader du marché de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

À la suite de recherches dans le registre des bénéficiaires effectifs slovaque en 2018, TI Slovakia découvre que Agrofert Slovakia cite M. Babiš comme l’un des cinq bénéficiaires effectifs. En réponse, Agrofert affirme que TI a mal interprété la loi et que « M. Babiš n’est pas l’entité majoritaire des entreprises slovaques d’Agrofert Group ». Ces propos sont contestés par TI Slovakia, attirant l’attention sur le fait que M. Babiš est le seul bénéficiaire effectif ayant le pouvoir de supprimer tous les autres bénéficiaires effectifs, à savoir les fiduciaires. Par ailleurs, non seulement il est cité comme un bénéficiaire dans le document d’information certifié, mais les fonds fiduciaires sont constitués de manière à ce que les actions lui reviennent au terme de son mandat. En plus d’enfreindre potentiellement la loi tchèque sur les conflits d’intérêts, M. Babiš pourrait avoir enfreint des lois européennes relatives aux entreprises détenues par des responsables politiques non admissibles à recevoir des fonds de l’UE, car les filiales d’Agrofert ont reçu des subventions européennes avant et après le transfert de propriété de M. Babiš à deux fonds fiduciaires en 2017.

Dans un récent audit de l’UE, il est précisé :« Considérant […] que M. Babiš a défini les objectifs des fonds fiduciaires […], les a constitués et a désigné tous leurs acteurs, qu’il peut également licencier, on peut estimer qu’il a une influence décisive directe et indirecte sur ces fonds fiduciaires. Sur la base de cette estimation, les services de la Commission considèrent que M. Babiš contrôle indirectement la maison mère Agrofert Group à travers ces fonds fiduciaires […] ». Il a été conclu que M. Babiš avait enfreint la loi européenne sur les conflits d’intérêts.

Dans un monde hypothétique où les cellules d’enquêtes financières et les autres autorités compétentes disposent de ressources suffisantes, où les systèmes de partage d’information fonctionnent parfaitement, et où les systèmes de justice sont toujours indépendants et efficaces, les journalistes n’auraient presque pas besoin d’enquêter sur des crimes financiers. Mais la réalité est toute autre, comme le décrivent de récents exposés de journalistes. Les fichiersFinCEN, nommés d’après le Financial Crimes EnforcementNetwork du Département du Trésor des États-Unis, publiés le 20 septembre 2020, sont des déclarations de soupçon adressées par des banques à la cellule de renseignement financier des États-Unis ayant fui té. Les fuites ont révélé des lacunes considérables au niveau de l’architecture de lutte anti-blanchiment internationale actuelle. Par exemple, de grandes institutions financières ont joué un rôle important dans le déplacement de fonds illicites, malgré des avertissements et des amendes, opérant dans ce qu’un ancien resprésentant du Département de Justice des États Unis et procureur a appelé « un système sans grand effet contraignant ». « Tout le monde s’en sort mal », a conclu le secrétaire exécutif du GAFI. Certains soutiennent que la lutte contre la criminalité financière devrait être confiée aux gouvernements uniquement. Cependant, étant donnée la situation, si les gouvernements ne doit pas se décharger de cette responsabilité fondamentale, les registres publics, quant à eux, permettent à la société civile de jouer un important rôle d’enquête et d’assurer la surveillance publique de la fonction gouvernementale de lutte contre la criminalité financière.

Le fait que même des unités d’enquêtes financières bien dotées dans des pays à revenu élevé ne parviennent pas à prévenir les crimes peut saper la confiance des citoyens dans la capacité de leur gouvernement à exercer ses fonctions, peut-être même plus encore dans les pays aux ressources modestes. Les registres publics aident également les gouvernements à rendre des comptes à leurs citoyens et permettent une surveillance publique de la lutte contre la criminalité financière, ainsi que d’autres grandes fonctions comme connaître l’identité des bénéficiaires des fonds publics, des contrats et des licences. Les recherches indiquent que la transparence peut, dans certains cas, améliorer l’efficacité du gouvernement, et garantir de plus grandes redevabilité et confiance. La redevabilité est un cas d’utilisation clé pour les données publiques relatives aux bénéficiaires effectifs. Comme indiqué précédemment, bon nombre de pays vise la transparence de la propriété effective dans la passation de marchés publics ; la publication des informations sur les bénéficiaires de fonds publics, en association avec des données ouvertes relatives aux passations de marchés et aux dépenses, permet aux gouvernements de rendre des comptes sur les dépenses de l’argent public, notamment dans des interventions d’urgence.

Encadré 7: enquête sur l’explosion de Beyrouth

Le 4 août 2020, une explosion s’est produite dans un hangar du port de Beyrouth faisant 211 morts,695 000 blessés, plus de 300 000 sans-abris et 10 à 15 milliards de dollars de dégâts.L’explosion a été causée par la détonation de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées, sans mesures de précaution, dans un hangar du port de Beyrouth.

Le nitrate d’ammonium était arrivé à Beyrouth le 23 septembre 2013 à bord du MV Rhosus, un navire battant pavillon moldave, se rendant à Beira, au Mozambique, depuis le port de Batoumi en Géorgie. Le navire a dû faire escale à Beyrouth en raison de problèmes techniques décelés lors d’une inspection des autorités portuaires de Beyrouth. Le nitrate d’ammonium étant utilisé pour fabriquer des bombes,la raison de l’expédition des produits chimiques a fait l’objet d’interrogations et une enquête a été ouverte pour trouver les coupables de la catastrophe de Beyrouth et leurs mobiles.

Les enquêteurs financiers Graham Barrow et Ray Blake se sont servi des données britanniques et ukrainiennes du registre mondial d’Open Ownership (Global Open Ownership Register) afin de réunir des informations, remontant la propriété du navire moldave jusque dans la gestion d’un réseau de différentes sociétés écrans britanniques. Leur enquête a établi un lien direct entre le navire ayant fait escale à Beyrouth et une entreprise immatriculée au Royaume-Uni, dont le bénéficiaire effectif s’avère avoir des liens avec d’autres entreprises immatriculées au Royaume-Uni et en Ukraine, ainsi que plusieurs personnes, morales et physiques, visées par des sanctions.

MM. Barrow et Blake ont résumé comme suit« Nous avons un réseau d’entreprises britanniques qui semblent être impliquées dans l’achat de produits chimiques dangereux ayant fait exploser une grande partie de la ville de Beyrouth, qui ont ou auraient facilité la vente de pétrole au nom de Daesh, et qui étaient ou sont actuellement détenues ou contrôlées par des personnes visées par des sanctions internationales.

Si le Royaume-Uni n’avait pas de registre des bénéficiaires effectifs en accès libre et ouvert, nous n’aurions jamais pu faire révéler cette histoire au grand public, ni même jeter la lumière sur ce monde obscur ».

Vérification

D’aucuns suggèrent qu’un registre fermé garantit une meilleure qualité de données par rapport aux registres ouverts. Ce postulat omet le fait que la qualité des données relatives aux bénéficiaires effectifs dépend de mécanismes de vérification. La question de savoir qui y a accès est secondaire. En effet, le fait de rendre les registres des bénéficiaires effectifs ouverts et publics est aussi un mécanisme complémentaire et assez simple d’un point de vue technique qui contribue à la vérification de ces données. Grâce aux registres publics, le secteur privé, la société civile et le grand public peuvent vérifier les erreurs accidentelles et les mensonges délibérés. Les recherches indiquent que la publication des données peuvent améliorer la qualité des données, tout comme l’utilisation accrue des données augmente la probabilité d’identifier des incohérences ou des actes répréhensibles potentiels, à condition que des mécanismes de signalement soient en place et que des mesures ultérieures soient prises. Les registres ne devraient pas reposer sur la publicité des données comme seul moyen de vérification, mais inclure des contrôles au moment et après la soumission des données.

Encadré 8: l’utilisation de données de la société civile à l’origine d’innovations destinées à renforcer la qualité des données au Royaume-Uni

En 2018, lors de la plus grande analyse de données relatives aux bénéficiaires effectifs d’entreprises britanniques jamais réalisée, Global Witness et DataKind UK ont examiné plus de 10 millions de registres de la Companies House. Combinant les données du registre britannique sur les bénéficiaires effectifs (the People with Significant Control ( PSC ) register) avec les jeux de données portant sur les responsables politiques et dirigeants d’entreprises, les organisations ont développé des algorithmes permettant les déclarations suspicieuses et erronées. L’analyse révèle que des milliers d’entreprises ont effectué des déclarations contraires aux règles. Elle met en lumière des méthodes pour éviter de divulguer les véritables propriétaires, notamment en nommant une entreprise étrangère(non admissible) comme bénéficiaire effectif et en créant des structures de propriété circulaire. Sur la base de leurs recherches, les analystes ont élaboré un système d’alerte afin de déceler les déclarations à risque élevé et d’identifier les entreprises qui devraient faire l'objet d’un examen plus approfondi.

La société civile a fondé son plaidoyer pour améliorer les données du registre des bénéficiaires effectifs du Royaume-Uni sur les résultats de cette recherche. Les conclusions ont été citées à plusieurs reprises lors de consultations publiques du gouvernement britannique qui ont suivi sur les propositions d’améliorations. Plusieurs recommandations ont été intégrées aux propositions de réformes.Alors que le gouvernement britannique aurait pu mener cette recherche, l’accès public aux données

Alors que le gouvernement britannique aurait pumener cette recherche, l’accès public aux données sous un format lisible par machine a permis aux experts en analyse de données au sein de la société civile d’identifier rapidement les points faibles et les lacunes, et de proposer des solutions éprouvées directement aux décideurs politiques, agissant comme un mécanisme de vérification visant à améliorer la qualité des données.

Dissuasion

La dissuasion étant impossible à mesurer en soi, il est difficile d'établir un lien entre transparence et dissuasion du recours abusif aux entités juridiques. Néanmoins, il apparaît que dans certains cas, la publication des données peut susciter un changement de comportement. Des faits anecdotiques du Royaume-Uni suggèrent également un effet dissuasif de la publication des données (voir l’Encadré 9).

Encadré 9: transparence et dissuasion : les Scottish Limited Partnerships

Parce que leurs obligations déclaratives sont limitées, les Scottish Limited Partnerships (SLP) ont été décrits comme le mécanisme d’évasion de choix pour les blanchisseurs de capitaux.84 Lorsque leRoyaume-Uni a mis en place un registre public des bénéficiaires effectifs en 2016, les SLP étaient l’une des rares formes juridiques à être dispensées des obligations de divulgation. Bien que les SLP puissent être constitués dans un but légitime, l’analyse de Global Witness a révélé que leur nombre avait presque doublé entre 2015 et 2016. Cette situation, qui coïncide avec l’introduction de la transparence de la propriété effective au Royaume-Uni, a suscité des préoccupations quant au recours des SLP pour éviter la transparence.

Ce soupçon a été mis en relief par des journalistes d'investigation ayant découvert que des SLP avaient permis de sortir au moins 4 milliards de GBP de l’ancienne Union soviétique sur une période de quatre ans dans le cadre du Russian Laundromat, l’un des schémas de blanchiment de capitaux les plus importants et élaborés au monde.85 De plus, selon leurs rapports, 70 % des SLP constituées entre 2007 et 2016 étaient immatriculées à 10 adresses, et en 2014, 20 SLP ont servi à déplacer plus d’1 milliard d’USD de banques moldaves.

En juin 2017, le gouvernement britannique a intégré les SLP dans le champ d’application de son régime de transparence des bénéficiaires effectifs, obligeant les propriétaires à enregistrer et communiquer les données relatives aux personnes ayant un contrôle substantiel à la Companies House.87 « Leur taux de constitution a presque immédiatement plongé au niveau le plus bas en 7 ans, 80 % inférieur au dernier trimestre 2017 à son pic à la fin de 2015, » are marqué Global Witness.

Le fait que ce changement radical du recours auxSLP coïncide clairement avec leur intégration dans le champ d’application du régime britannique de transparence des bénéficiaires effectifs suggère que la publication des données relatives aux bénéficiaires effectifs a un effet dissuasif. Si cette conclusion établit une corrélation, et s’il convient de tenir compte de l’influence d’autres facteurs, ce cas fournit de solides preuves du rôle de la transparence des bénéficiaires effectifs dans le changement du comportement des individus ayant recours aux structures d’entreprise.

Taux de constitution des SLP par trimestre
Taux de constitution des SLP par trimestre

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