Sénégal : orientation et évaluation

  • Publication date: 10 November 2022
  • Authors: Michael Barron, Moussa Gueye, Favour Ime, Tim Law
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Introduction

Le Sénégal a l’occasion de mettre en place un régime ambitieux de divulgation des bénéficiaires effectifs qui contribuerait de manière essentielle à la prévention et à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme, la corruption et d’autres flux financiers illicites. Un tel régime pourrait également contribuer à insuffler de la confiance dans l’économie, en la rendant plus ouverte et plus compétitive. Il permettrait au Sénégal de respecter les normes internationales, notamment la Norme ITIE 2019 et la Recommandation 24 du GAFI.

Bilan des actions menées à ce jour

Depuis le REM du GIABA en 2018, le gouvernement sénégalais a pris les mesures suivantes :

1. Transposition de la directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux de l’UEMOA par l’adoption de la Loi 2018-03. Cette loi donne une définition du bénéficiaire effectif et d’une personne politiquement exposée (PPE). Cependant, elle n’impose pas d’obligation légale aux entités juridiques de collecter ou de déclarer des informations sur la propriété effective. Elle n’oblige pas non plus légalement le gouvernement à établir ou à tenir un registre des bénéficiaires effectifs.

2. Adoption en mai 2019 d’un document de stratégie nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme 2019-2024. La mise en œuvre du plan d’action a commencé par la mobilisation des parties prenantes et par des activités de formation pour les entités déclarantes et les autorités de contrôle.

3. Publication et mise en œuvre du Décret présidentiel 2020-791 relatif aux informations sur les bénéficiaires effectifs dans le secteur extractif. Ce décret comprend :

  • une définition du bénéficiaire effectif ;
  • des références à la définition de la PPE de la Loi 2018-03 ;
  • une obligation légale pour le gouvernement d’établir un registre électronique des informations sur la propriété effective des entreprises actives dans le secteur extractif ;
  • une obligation légale pour le RCCM de collecter les informations relatives à la propriété effective par voie électronique ;
  • l’obligation légale pour les entreprises du secteur extractif de collecter et de déclarer les informations relatives à la propriété effective; et
  • le formulaire de collecte des informations relatives à la propriété effective (en annexe).

4. Modification de l’article 633 du Code général des impôts par la Loi de finances 2021 du 5 juillet 2021 (publiée au Journal officiel le 9 juillet 2021). [6] Cette loi a introduit l’obligation pour toutes les personnes morales de fournir à l’administration fiscale les renseignements relatifs à leur propriété effective avant le 31 décembre 2021, aux fins d’enregistrement dans un registre tenu par l’administration fiscale. Les modifications comprennent :

  • une définition du bénéficiaire effectif, avec notamment un seuil de propriété de 25 %;
  • une obligation de soumettre des informations sur l’identité de chaque bénéficiaire effectif, la nature et l’étendue de sa propriété ou du contrôle qu’il exerce et la date à laquelle il est devenu (et a cessé d’être) un bénéficiaire effectif ;
  • l’obligation de notifier toute modification dans un délai de 30 jours ;
  • l’obligation pour l’administration fiscale de conserver les informations sur les bénéficiaires effectifs pendant 10 ans ; et
  • une référence au Décret présidentiel 2020-791.

Cependant, le décret ministériel visant à mettre en œuvre les modifications de l’article 633 n’a pas encore été publié, ce qui explique pourquoi les dispositions ci-dessus ne sont toujours pas en vigueur.

Le Décret présidentiel 2020-791 confie au RCCM la responsabilité de collecter les informations sur la propriété effective auprès des entreprises extractives et de les mettre à la disposition de l’ITIE Sénégal (SN-ITIE). Le décret dispose que seules les personnes ayant un intérêt légitime, c’est-à-dire une liste exhaustive d’organismes gouvernementaux, peuvent accéder au registre. Dans la pratique, toute personne peut s’adresser au RCCM pour demander à accéder aux informations, le RCCM ayant indiqué que les autorisations sont accordées automatiquement. La Loi 2018-03, le DP 2020-791 et la Loi de finances 2021 sont disponibles sur le site de la SN-ITIE. [7]

Pour mettre en place un régime ambitieux de divulgation des bénéficiaires effectifs, le Sénégal devra s’appuyer sur les progrès réalisés à ce jour dans la promotion de la TPE. La SN-ITIE a joué un rôle important en tant que défenseur de la TPE et fut le moteur d’une grande part des progrès rappelés ci-dessus par la mise en œuvre de l’Exigence 2.5 de la Norme ITIE 2019. [8] Dans son Rapport d’évaluation final des progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Norme ITIE/Validation du Sénégal daté du 21 septembre 2021, [9] le Secrétariat international de l’ITIE reconnaît le rôle joué par la SN-ITIE dans la promotion de la TPE : « Malgré certaines lacunes qui demeurent, l’ITIE Sénégal a contribué à centraliser les informations disparates et à améliorer l’accessibilité des données sur les bénéficiaires juridiques et effectifs d’au moins certaines des entreprises couvertes dans le champ d’application de la déclaration ITIE. » [10]

Dans l’ensemble, le Rapport de Validation dresse un tableau général des progrès accomplis en vue de la TPE dans le secteur extractif. L’ITIE s’appuie sur deux phases pour évaluer les progrès réalisés par les pays en vue de satisfaire l’exigence 2.5. La première phase au Sénégal a été menée avant le 31 décembre 2021 et s’est déroulée conformément au cadre de validation de l’ITIE. [11] Le rapport, bien que notant les lacunes en matière de déclarations de propriété effective, constate néanmoins que « [l]e Sénégal a pleinement respecté les critères de l’objectif visant à permettre au public de savoir qui possède et contrôle in fine les entreprises opérant dans le secteur des industries extractives du pays, et d’aider à prévenir les pratiques opaques dans la gestion des ressources extractives. » « Tous les aspects des critères initiaux de la Validation de l’Exigence 2.5 ont été traités », [12] la prochaine Validation de l’ITIE portera sur les progrès accomplis vis-à-vis de la série complète de critères associés à l’Exigence 2.5, aux fins d’évaluer l’exhaustivité et la fiabilité des données en matière de propriété effective recueillies et divulguées publiquement au Sénégal. Pour bénéficier d’une évaluation positive, le Sénégal « est tenu de s’assurer que la propriété effective de toutes les sociétés détenant ou postulant pour une licence minière, pétrolière ou gazière est divulguée de manière complète et fiable à partir de janvier 2022 ». [13]

En mars 2020, le Décret présidentiel 2020-791 (DP 2020-791) a créé l’obligation pour les entreprises actives dans le secteur extractif de déclarer leurs bénéficiaires effectifs au RCCM. Ces informations sont ensuite mises à la disposition de la SN-ITIE pour être publiées dans son rapport annuel ITIE. Il s’agit actuellement du seul système public de déclaration de la propriété effective en place dans le pays.

Le 30 juin 2022, le Sénégal a franchi une nouvelle étape décisive en vue de la TPE avec le lancement national du programme Opening Extractives dans le pays. [14] À cette occasion, le gouvernement a réaffirmé son engagement envers la TPE. Le lancement faisait suite à l’atelier de consultation des parties prenantes qui participait des activités de recherche en vue du présent rapport d’orientation.

L’importance de la TPE pour l’économie sénégalaise

La TPE joue un rôle important dans l’instauration de la confiance dans l’intégrité de l’ensemble de l’économie, pour les citoyens, le gouvernement, le secteur privé et les bailleurs de fonds, tant nationaux qu’internationaux. Les investisseurs internationaux, les bailleurs de fonds et les autres parties prenantes exigent toujours davantage de transparence. Dans le même temps, l’attention se porte davantage sur la propriété effective des entreprises et des actifs à l’échelle mondiale, les gouvernements cherchant à instaurer la confiance et à lutter contre l’évasion fiscale, la corruption et le blanchiment de capitaux.

Dans la mesure où le Sénégal continue d’attirer des investissements et des financements internationaux, le pays souhaite répondre à ces attentes en matière de transparence. Le Sénégal est et demeure en concurrence avec d’autres pays pour attirer les investissements étrangers. Les pays qui offrent des niveaux de transparence plus élevés sont susceptibles d’être les plus attractifs, en particulier dans l’environnement financier post-Covid.

Portée

Le présent rapport d’orientation et d’évaluation examine les implications de la TPE pour l’ensemble de l’économie sénégalaise. Il se penche sur les conditions exigées pour mettre en œuvre un système efficace de déclaration de la propriété effective à l’ensemble de l’économie et pour publier des données afférentes de qualité et exploitables. Il évalue les mesures relatives à la TPE actuellement en vigueur au Sénégal, en particulier le système de déclaration de la propriété effective instauré par le DP 2020-791 et la Loi de finances 2021. Le rapport analyse également les implications d’autres législations pertinentes telles que la loi sénégalaise relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, la Loi 2018-03.

Objectifs

L’objectif global de ce rapport d’orientation et d’évaluation est d’apporter des éléments essentiels à la participation du Sénégal au programme Opening Extractives et de fournir des recommandations concrètes destinées à favoriser la mise en œuvre d’une TPE efficace dans le pays.

Ce rapport d’orientation et d’évaluation :

  • recense les parties prenantes importantes ;
  • recueille les points de vue des parties prenantes en matière de TPE ;
  • présente une analyse de l’environnement politique et juridique ; et
  • évalue la situation actuelle de la TPE dans le pays et recense les opportunités et les défis concernant l’amélioration du régime de la TPE au Sénégal.

Méthodologie

La méthodologie consistait en :

  • l’implication des parties prenantes sur la base d’une méthodologie reconnue de cartographie et de mobilisation de ces acteurs. Au total, 14 parties prenantes appartenant à 6 organisations ont été interrogées ; une liste figure à l’annexe 1. En outre, un atelier de consultation des parties prenantes a été organisé le 9 juin 2022. 26 personnes ainsi que le personnel d’Opening Extractives y ont assisté ;
  • une étude documentaire des éléments pertinents, notamment la législation, les rapports ITIE, les rapports du GAFI et d’autres rapports de tiers. Une liste de documents figure en annexe 2 ;
  • la participation au questionnaire d’évaluation et d’orientation d’Open Ownership pour les pays inscrits au programme Opening Extractives.

Cette évaluation s’appuie sur le cadre des Principes Open Ownership pour identifier les défis et les possibilités qui s’offrent au Sénégal concernant la mise en œuvre d’un système robuste de déclaration de la propriété effective à l’ensemble de l’économie. Il existe neuf principes qui couvrent tous les aspects d’un système de déclaration de la propriété effective, de la définition de la propriété effective à la mise à disposition des données sous un format structuré, en passant par les sanctions et l’application des règles.

Notes de bas de page

[6] https://itie.sn/?offshore_dl=7608

[7] Ibid

[8] https://eiti.org/fr/collections/eiti-standard

[9] https://eiti.org/sites/default/files/attachments/eiti_validation_of_senegal_2021_-_final_validation_report_september_2021_fr.pdf

[10] Rapport de validation, p. 32

[11] Voir https://eiti.org/sites/default/files/attachments/assessing_implementation_of_eitis_beneficial_ownership_requirement.pdf

[12] Rapport de validation, p. 34

[13] Ibid

[14] Voir https://eiti.org/fr/blog-post/lancement-de-opening-extractives-au-senegal

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